Montagne d’eau et de terre.
Extrait de « Enfant des Etoiles, Désirez-vous nous voir apparaître ? ».
Je fis moi-même des expériences de visions du futur absolument bouleversantes. Deux d’entre elles furent saisissantes.
La première concernait un cataclysme d’une ampleur considérable. J’étais dans l’un de ces rêves d’une incroyable réalité. Je sentais que je n’étais là qu’en spectateur, voyant à travers les yeux d’un autre.
Nous étions sur un grand paquebot au milieu de l’océan Atlantique. L’atmosphère de l’après-midi était agréable. Le mastodonte filait à bonne allure dans ce ciel bleuté et moutonneux par endroits. Bien des passagers profitaient sur le pont de l’air du grand large qui emplissait leurs poumons.
Soudain un touriste signala un curieux phénomène à la proue du navire, loin devant. L’eau devenait légèrement agitée dans une zone très localisée sur notre route. Puis assez rapidement, le léger frémissement se métamorphosa en bouillonnement de plus en plus fort. Non seulement la surface de l’océan tremblait frénétiquement mais la zone agitée s’étendit brusquement jusqu’au navire. C’est alors que, médusés, les passagers virent comme moi l’improbable. L’eau s’assombrit pour devenir noirâtre, couleur charbon. Personne ne semblait expliquer ce phénomène. Le bleu profond de l’Atlantique devint de plus en plus anthracite. Les reflets du soleil avait disparu sur la surface aqueuse. L’eau n’était plus maintenant qu’une mélasse visqueuse et secouée. C’est alors qu’un troisième phénomène s’ajouta à l’incroyable scène à laquelle j’assistai incrédule.
Au milieu de cette mer d’ébène, des plaques noires et rouges surgissaient par endroit comme d’ignobles verrues sur la peau d’un malade. Ces bulbes rougeoyants et sales se multiplièrent tandis que la nervosité de l’océan redoublait. Un silence s’installa sur le pont. L’événement était hors de toute expérience humaine.
Comprenant se qui se passait, je fus projeté en l’air pour regarder le panorama dans son entier. Le bateau sombra lentement, laissant les dernières clameurs vomirent l’effroi et l’inéluctable mort. En un éclair, la vision sous-marine m’expliqua ce qui se produisait. La chaîne dorsale Atlantique s’éveillait. Des dizaines de volcans sous-marins explosaient violemment le long de la crête abyssale que cisaillaient deux plaques continentales en mouvement.
Aussitôt, je me retrouvais au dernier étage d’un gratte-ciel dans une grande ville américaine. Il s’agissait d’une très grande salle de réception au plafond prodigieusement haut. Les murs étaient clairs et la décoration somptueuse. Sur l’un des côtés de la salle, une immense baie vitrée inclinée à trente degrés offrait une vue magnifique sur l’océan et les immeubles alentour. Des gens étaient là assemblés, déambulant comme s’ils attendaient quelque chose. Certains semblaient nerveux mais la majorité demeurait parfaitement décontractée, tenant pour beaucoup un verre à la main. Peut-être les avait-on invités à quelque surprise en fin d’après-midi. Mais personne ne semblait savoir ce qu’ils faisaient là.
Tout à coup, j’aperçu l’horizon qui montait imperceptiblement. Nul ne s’attarda sur cette étrange situation car déjà une fête se préparait. La musique couvrait les conversations mondaines et la salle s’emplissait de nouveaux arrivants. La plupart étaient habillés de leurs costumes de travail. On eût dit les locataires des étages inférieurs conviés à quelque pot de l’amitié. Tandis qu’un petit groupe était attroupé silencieux devant l’océan, la majorité des convives préféraient s’amasser autour des tables promptement aménagées de victuailles.
Au loin, un mur sombre, horizontal et rectiligne, montait progressivement vers le ciel. Alors que je flottais à mi-hauteur de la salle, j’aperçus soudain un trait droit de lumière au sommet de cette colline d’eau. Le soleil de la fin d’après-midi se reflétait sur la masse monstrueuse qui s’approchait à grande vitesse. En ces instants infiniment longs, une poignée de citadins collés à la vitre retenaient leur respiration devant ce spectacle inimaginable. On eût dit qu’ils s’imposaient ce silence pour ne pas gâcher les derniers instants de joie et d’insouciance de l’assemblée. L’immense vague n’était plus maintenant qu’à deux ou trois kilomètres. Sa hauteur était visiblement inférieure à l’altitude du dernier étage. Mais la plupart des immeubles alentour seraient noyés sous peu de temps. Le méga-tsunami devait faire au moins deux cent mètres de haut.
Un cri de femme déchira l’ambiance feutrée de la réception improvisée. Un grand silence fit écho à la frayeur de cette quadragénaire qui tomba en syncope. En quelques secondes des centaines d’yeux fixèrent l’orient. La majorité était hypnotisée mais quelques uns sanglotaient déjà, n’osant hurler par décence, par respect de l’étiquette sociale. Toutes ces âmes étaient désormais mises à nues. Rapidement, beaucoup se tinrent par la main, d’autres se serrèrent avec émoi. D’autres encore s’enfuirent derrière d’hypothétiques remparts de fortune. Le raz-de-marée de l’apocalypse atteignit d’abord les petits bâtiments en amont. En les percutant, une vague secondaire monta et vint lécher la grande baie vitrée inclinée. Mais bientôt un énorme coup de boutoir aurait raison des premiers étages. La salle de réception pivota lentement et inexorablement vers les flots tumultueux de l’océan qui pénétrait, imperturbable, dans les terres de l’Amérique du Nord. Les heures sombres avaient envahi l’horloge terrestre.
Cette vision avait pour origine un phénomène dit « naturel ». Si la grande vague était née du réveil des volcans sous-marins, ces derniers devaient leur soudaine activité à un projectile venu de l’espace. Une petite météorite de taille d’une voiture avait filé à une vitesse hors du commun. Un chiffre s’imposa : 800 000 km/h ! J’ignore si cette célérité attribuée au projectile de l’espace est possible mais ce que je vis fut la traversée de l’atmosphère et de l’océan en un clin d’œil. Ces fluides avaient certainement freiné considérablement le bolide, en particulier les quelques kilomètres de profondeur de l’Atlantique. Mais la météorite avait semblé s’enfoncer dans l’épaisseur aqueuse comme dans du beurre, traversant même la croûte solide de la montagne sous-marine avec facilité. Ayant perdu de la masse et de la vitesse sur son parcours, le caillou extraterrestre avait dû ébranler des millénaires de sédiments et perforer la carapace de la dorsale océanique avant de mettre au jour un autre océan, de lave cette fois-ci, faisant émerger de nouvelles terres à divers endroits de la planète dont les deux tiers de la surface sont liquides. Nul doute qu’un effet de dominos devait avoir lieu un peu partout sur la Terre déclenchant une multitude de séismes, d’éruptions volcaniques et de raz-de-marée.
Eric Julien dans « Enfants des Etoiles » tome 1.